Je me prénomme Pascal et je suis Captain sur Global Express pour une compagnie de jet d’affaires suisse depuis près de 15 ans. Auparavant, j’ai piloté pour Crossair sur SF34, SB20 et RJ85/100 (Jumbolino) pendant 11 ans. J’ai ainsi passé de l’aviation de ligne à l’aviation d’affaires et ai pu apprécier les caractéristiques de ces deux orientations qui requièrent des qualités différentes.
Les illustrations contenues dans cet article proviennent de différents voyages. Seules celles du Groenland correspondent au vol relaté ci-dessous. Ces photos prises par moi-même peuvent être utilisées sans réserve.
La journée d’un pilote de Business Jet
Voilà trois jours que j’ai repris le travail après une période de vacances durant laquelle j’ai effectué une randonnée pédestre à travers les Alpes suisses. Pour l’heure, je me trouve en standby, prêt à partir n’importe où et n’importe quand. J’en profite pour traiter mon courrier et répondre aux courriels reçus pendant mon absence.
Mercredi 14h37
Le silence est soudain interrompu par la sonnerie de mon portable. L’affichage sur l’écran m’indique qu’il s’agit d’un appel du centre de nos opérations de vol (dispatch). Je suis avisé qu’une demande pour un vol Genève – Los Angeles prévu le lendemain est à l’étude et que des informations me parviendront ultérieurement. Jusque-là, le nombre de passagers et leurs identités, ainsi que le programme et la durée de la mission sont inconnus.
J’interromps momentanément mon activité administrative pour commencer à réunir les effets que j’emporterai dans ma valise et vérifier que les documents d’importance (licence de vol, médical, passeport, visa, livret de vaccinations etc…) sont toujours à leur place dans mon crew bag.
Je consulte mon agenda et note qu’il me faudra reporter un rendez-vous prévu deux jours plus tard, dans le cas où je devrais partir.
Mercredi 16h22
Un nouvel appel du centre des opérations me confirme le vol et un décollage de Genève à 12h30 le lendemain destination La Cité des Anges. La composition de l’équipage m’est annoncée et les détails concernant les passagers me sont communiqués. Par contre, la suite du programme est encore incertaine. Je prends contact avec mon collègue de cockpit et nous convenons de nous retrouver le jour suivant à 09h30 au dispatch. Il me rappelle d’emporter mon jeu d’échec. Lorsque nous séjournons ensemble, nous avons effectivement pris l’habitude d’y jouer quotidiennement. Et bien que le plaisir soit partagé, le mien est quelque peu atténué en raison de mes défaites récurrentes.
Je rassemble donc mes effets personnels et les range soigneusement dans ma valise. J’en réunis suffisamment, de quoi tenir 2 semaines. Je prends aussitôt les dispositions relatives à ma prochaine absence, afin de m’envoler en toute quiétude. Avant de boucler ma valise, je parcours la check-list (défaut professionnel !!!) que je me suis confectionné afin de ne rien oublier.
Je me réjouis à l’idée de me rendre à nouveau sur la Côte Ouest. Le vol en lui-même est intéressant car sa route passe au-dessus du Groenland et par beau temps, le coup d’œil est fantastique. De plus, la ville de Los Angeles est attrayante et pour y être allé à plusieurs reprises, nous avons nos habitudes.
Je sais déjà que pendant la nuit prochaine, mon sommeil sera quelque peu chaotique car l’excitation du départ se manifeste déjà. En effet, bien que je vole depuis plus de 30 ans, ma passion pour cette activité n’a pris aucune ride. Même lorsque je voyage en tant que passager sur un vol de ligne, mon plaisir reste intact.
Jeudi 07h00
Mon réveil sonne ; ma chambre est déjà inondée des premiers rayons du soleil qui s’abattent de la cime des montagnes.
Jeudi 07h45
Mes bagages sont chargés dans mon véhicule et je roule en direction du prochain village. Là, je m’arrête dans un tearoom et, tout en prenant un café que je savoure avec un croissant, je parcours la presse. C’est une habitude quotidienne que je conserve également lorsque je suis en voyage. D’ailleurs, je ne manque pas, depuis l’étranger, d’écouter via internet les nouvelles diffusées sur la RTS. J’aime me tenir au fait l’actualité et suivre les évènements.
Jeudi 08h30
Je roule en direction de Genève. Je prends contact avec le technicien de l’avion qui me confirme avoir déjà préparé l’appareil et vérifié la mise à jour des FMS* ainsi que la validité des cartes de navigation électroniques.
(*FMS = Flight Management System)
Jeudi 10h15
Je me présente au centre des opérations. Je signe ma feuille de présence et constate avec satisfaction que le dossier de vol est déjà prêt. Il comprend notamment la feuille de mission, le plan de vol, les informations météorologiques, les Notams, la liste des passagers, les informations relatives aux FBOs* et à notre hébergement. Je m’assure également que la documentation nécessaire au service d’immigration américain est complète et comporte les informations correctes. Mon collègue me rejoint et nous procédons ensemble à l’étude détaillée dudit dossier. Nous observons que la composante de vent pour l’ensemble du vol sera de 8 nœuds de face, ce qui est plutôt faible, et c’est tant mieux. L’indice de turbulence laisse présager de bonnes conditions de vol. Le temps du voyage est estimé à 11 heures et 3 minutes.
(*Fixed-Base Operators = société de handling)
Nous déterminons la fonction de chacun (CMD PF/PNF)*. Dans l’aviation d’affaire, on trouve souvent au fligthdeck deux Captains. Il nous faut alors déterminer lequel officiera en qualité de Commandant de bord. Pour ce vol, je remplirai cette fonction et les rôles seront alternés lors de la prochaine rotation.
(*CMD = Commandant, PF = Pilot Flying, PNF = Pilot Non Flying)
Jeudi 11h00
Nous parvenons à l’avion où nous sommes accueillis par le technicien qui a déjà mis en marche l’APU* et procédé à différents tests de fonctionnement, et notre hôtesse qui réceptionne son catering et prépare son service. Le véhicule d’avitaillement nous attend déjà et mon collègue ouvre la fuel service door pour y actionner les valves donnant accès aux 4 réservoirs et afficher le montant de carburant désiré. Aujourd’hui, nous partirons avec les réservoirs pleins, ce qui correspond pratiquement à 50% du poids maximum au décollage.
(*Auxiliary Power Unit)
Puis, sans tarder, mon collègue et moi-même prenons place dans le fligthdeck et poursuivons la préparation, déjà initiée par notre technicien.
Jeudi 11h40
Le cockpit est opérationnel et la cabine est prête à accueillir les passagers. C’est le moment, selon un rituel bien établi, de partager un bon café avec notre hôtesse et le technicien.
Jeudi 11h55
Je me rends au Terminal C3 pour y accueillir les passagers. Mon collègue reste à l’avion et réceptionnera les bagages. Un premier passager est déjà présent et attend dans le salon VIP. Je me présente à cette personne et lui transmets quelques informations concernant le vol, puis je me retire pour réceptionner mes 3 autres clients devant le Terminal.
Jeudi 12h15
Un véhicule s’arrête à ma hauteur et je reconnais mes trois derniers passagers. Le personnel du handling s’empresse de rassembler leurs bagages et de les acheminer à l’avion. Pendant ce temps, je me dirige avec mes hôtes vers le contrôle douanier et j’appelle mon collègue pour lui signifier que nous serons à l’appareil dans les prochaines cinq minutes. Je sais déjà que lorsqu’il nous apercevra, il demandera à l’ATC* notre clearance, de manière à optimiser le temps à disposition.
(*Air Traffic Control)
Jeudi 12h25
Les passagers sont confortablement installés dans la cabine, les bagages chargés et l’autorisation de mise en marche des moteurs vient de nous être délivrée. Mon collègue me confirme la route de départ, soit: DIPIR 5 A.
Jeudi 12h32
Nous roulons pour le seuil de la piste 23. La Tour de contrôle nous précise que nous sommes N° 3 pour le décollage; en séquence derrière l’A330 de SWISS, en partance pour New York, dont le départ a été quelque peu retardé.
Jeudi 12h47
Notre appareil s’arrache du bitume avec élégance et visiblement ravi de retrouver son élément. La montée se fait par paliers en raison des contingences du trafic. Le contrôle ATC nous donne initialement un cap divergeant de l’appareil précédant, de manière à ne pas interférer avec le vol LX22 à destination de Kennedy, parti 3 minutes devant nous, et dont la première portion de route est identique à la nôtre. En passant le niveau de vol FL280*, nous sommes autorisés à rejoindre notre route et à monter au FL400 comme demandé. Plus tard, nous solliciterons le FL430 pour la traversée de l’Atlantique Nord. En cabine, notre hôtesse sert un apéritif et prépare les tables pour le repas qui suivra.
(*FL230 = 23’000 pieds, soit env. 7’000m)
Jeudi 12:56 UTC (14:56 à GVA)
Nous survolons le point de cheminement ATSIX (un des points d’entrée de l’Atlantique Nord) au niveau de vol FL430 avec une vitesse de Mach .85. Ces deux paramètres seront conservés pendant toute la traversée de l’Atlantique Nord sur une Random Route (appelée ainsi parce que située au-dessus des Tracks standards et n’ayant pas forcément le même cheminement). Le ciel est dégagé, ce qui est généralement le cas à cette altitude et dans l’hémisphère nord, et libre de toute turbulence. Nous constatons effectivement que le vent de face est de faible intensité. En cabine, nos hôtes ont terminé leur repas et trois d’entre-eux se livrent à la lecture de la presse tandis que le quatrième a opté pour un film vidéo.
Jeudi 16:30 UTC (14:30 à GVA)
La côte Est du Groenland est en vue. Aujourd’hui, les conditions de survol sont excellentes. Nous serons en mesure de distinguer l’aéroport de Narsarsuaq parfois utilisé comme terrain de dégagement ou de transit par des appareils plus légers. De notre altitude, aucune manifestation de vie ne peut être observée. Pourtant, certains tours operators ont compris l’intérêt grandissant pour ces régions sauvages et y développent à grand renfort de publicité le tourisme aventure et découverte. On peut s’en réjouir ou s’en inquiéter, mais cette région du monde, qui subit de façon brutale le réchauffement de la planète, ne conservera pas toujours sa blancheur immaculée.
Le reste du voyage passera par le Nord du Canada, la Baie d’Hudson et l’État du Montana avant d’apercevoir au loin la Côte Pacifique.
Jeudi 21:05 UTC (23:05 à GVA, 14:05 à LAX)
Dans environ 45 minutes, nous atterrirons à Los Angeles (LAX-KLAX). Les fréquences radiotéléphoniques sont désormais occupées par un trafic grandissant. Au flightdeck la concentration est palpable. Les clearances ATC, de même que la charge de travail dans le cockpit vont s’intensifier. J’ai briefé pour la piste 25R et déterminé le cheminement susceptible de nous être attribué pour rejoindre notre aire de parking. La descente se fait en palier et de nombreuses informations de trafic nous sont communiquées par les organes ATC. L’écran TCAS* s’est couvert d’une multitude de losanges symbolisant les appareils à proximité, que nous tentons de localiser en visuel. La piste 25R est confirmée et un cap d’interception nous est donné, suivi d’une autorisation pour l’approche. Mon collègue annonce sur la fréquence que nous sommes établis sur les axes et le contrôleur nous autorise déjà à atterrir bien que trois appareils nous précèdent encore.
(*Traffic Collision Avoidance System)
Jeudi 21:50 UTC (23:50 à GVA, 14:50 à LAX)
Le train principal prend contact avec la piste tandis que la roue de proue semble encore vouloir profiter de sa liberté. L’importance du trafic au sol n’a rien à envier à celui des airs et c’est ainsi que nous mettrons 20 minutes pour rejoindre notre place de parc. Nos passagers quittent l’avion, visiblement satisfaits de leur voyage, ce à quoi nous sommes très sensibles, et l’un d’entre-eux m’informe que le vol de retour aura lieu le lundi suivant. La journée n’est pas complètement terminée. Avant de rejoindre l’hôtel, l’équipage aura encore à procéder aux différents travaux de remise en état de l’appareil.
Jeudi 17:00 à LAX
Mon collègue Michel et moi-même nous retrouvons à la réception de l’hôtel, tandis que notre hôtesse a préféré rester en chambre. Nous décidons de sortir en ville, histoire de nous dégourdir les jambes et de prolonger notre journée de manière à calquer notre horloge biologique sur l’heure californienne. Nous repérons une terrasse de restaurant et sommes hélés par une ravissante hôtesse aux allures engageantes et convenons de nous y attarder. Nous sommes en Amérique, alors nous poursuivons notre acclimatation en passant commande d’un Burger juteux accompagné de french fries. Et oui, il faut bien que notre immersion dans the american way of life se fasse dans la plus pure des traditions.
Jeudi 20h015 à LAX
Je pénètre dans ma chambre d’hôtel et ne tarde pas à sombrer dans un sommeil profond qui, je le sais par expérience, prendra fin vers 1h00 ou 2h00 du matin, conséquence incontournable du Jetlag.
Ainsi s’achève une journée typique d’un pilote de business jet.
Les deux jours suivants seront rythmés de séances de fitness, de balades en ville sans manquer d’arpenter les boutiques d’un grand Mall.
Régulièrement, je consulterai les prévisions météorologiques et particulièrement les conditions de vent en altitude afin de pouvoir renseigner mes passagers sur le temps de vol prévu pour le retour: lequel déterminera l’heure de départ en fonction de l’heure d’arrivée souhaitée. En arrivant à LAX, nous nous sommes renseignés auprès du FBO des conditions d’avitaillement et des pick hours, de manière à définir le temps de préparation nécessaire ainsi que l’heure à laquelle nous nous présenterons à l’aéroport le jour du départ.
Le pilote de business jet doit effectuer un important travail d’anticipation pour réduire au maximum l’intervalle de temps entre l’arrivée du client à l’aéroport et le décollage de l’avion.
Dimanche
Nous sommes à la veille de notre départ. Mon collègue et moi-même décidons d’aller à la rencontre des cétacés qui croisent au large de Los Angeles. C’est un spectacle toujours impressionnant qui se déroulent à quelques nautiques seulement de la côte.
Lundi
La journée sera consacrée au repos puisque le décollage est fixé à 17:30 local (00:30 UTC, 02:30 GVA) et que le vol s’effectuera, en grande partie, de nuit. La gestion du sommeil n’est pas chose aisée étant donné qu’elle dépend davantage de l’horloge interne que de la volonté de l’individu; et ce dernier n’a pas toujours le dernier mot.
Lundi 17:45 (00 :45 UTC, 02:45 GVA)
V1, VR, mon collègue tire sur le manche et l’appareil quitte le sol vers le soleil couchant. Un virage à droite le ramène sur un cap NE, direction Las Vegas. Au fil des heures, le ciel s’est obscurci et le survol de Chicago se fait de nuit. Nous quittons le continent nord-américain au-dessus de Terre Neuve pour le crossing (traversée de l’Atlantique). Notre vitesse est de Mach .85 et notre niveau de vol initial est le FL410. Plus tard, nous demanderons le FL450.
Mardi 12:51
Notre avion prend contact avec la piste 05 à Genève après une approche que je considère comme l’une des plus belles que je connaisse. Le vol s’est déroulé sans évènement particulier avec néanmoins quelques turbulences, qualifiées de légères à modérées, dans la région de la longitude 30°W: là même où nous quittons le contrôle océanique de Gander pour celui de Shanwick.
La journée de travail se termine par la restitution du dossier de vol au dispatch, lequel nous notifie une prochaine mission, le dimanche suivant, à destination de Dubaï pour un retour 2 jours plus tard. Mais d’ici-là, de nombreux changements peuvent intervenir et comme à l’accoutumé, nous recevons cette information avec beaucoup de circonspection.
Il est désormais temps pour moi de regagner mes montagnes en vous remerciant de m’avoir accompagné sur cette rotation.
Qu’attend-t-on d’un pilote de business Jet ?
- – Avant tout, qu’il soit extrêmement disponible. En effet, il peut être appelé à tout moment pour une mission dont la durée est indéterminée et le programme évolutif.
- – Qu’il montre un intérêt marqué pour des horaires particulièrement irréguliers. Cela implique une anticipation de ses activités privées de manière à toujours pouvoir partir en toute quiétude.
- – Qu’il manifeste un goût prononcé, pour ne pas dire inné, pour le service à la clientèle.
- – Qu’il s’implique dans l’organisation de la mission au sens général. Il doit notamment connaître les particularités des aéroports qu’il est amené à desservir (sociétés de handling, procédures douanières, possibilité de hangar, services de catering…) et être capable de renseigner correctement ses clients.
Le revers de la médaille
- – La vie sociale est, par définition, difficilement conciliable avec cette profession.
- – L’omniprésence de l’incertitude, quant au départ, au retour, à la destination, aux changements de programme sont autant d’aspects qui rendent ce métier attrayant pour celui qui ne se complait pas dans la routine et affiche un caractère quelque peu aventureux, mais qui peut être un réel défi pour le pilote qui, au contraire, recherche de la stabilité.
Mon bilan, après plus de 25 années passées en tant que pilote professionnel.
J’ai eu le bonheur de commencer par l’aviation de ligne et d’apprécier ses particularités, à savoir, un nombre élevé de rotations par mois (qui permet d’acquérir de l’expérience sur une période relativement courte), une existence somme toute régulière avec des horaires définis (favorable à la vie de famille) et de basculer ensuite dans l’aviation d’affaires, milieu fait de surprises, de découvertes et d’aventures. Cette activité m’a permis de voyager sur les cinq continents, d’effectuer un tour du monde complet, de me lier d’amitié avec des gens du monde entier et de tomber en admiration devant des paysages à vous couper le souffle.
Après toutes ces années, ma passion pour l’aviation est toujours aussi forte que lorsque, encore petit enfant, je rêvais d’embrasser cette carrière. Et mon souhait est de pouvoir la vivre le plus longtemps possible.
–Pascal–
Cher Pascal,
Merci pour cet article fascinant (fascinant étant un euphémisme). Merci de m’avoir fait prendre conscience de la réelle difficulté de cette carrière mais aussi et surtout de tout ce qu’elle a à offrir.
En espérant que vous me lirez, Saïan.
Bonjour Monsieur,
Votre vie me fascine, pourriez-vous écrire de nouveau ? Avez vous écris un livre ?
Merci beaucoup.
Raphaël