Parmi les différents aéronefs qui équipent les Forces aériennes suisses, le F/A-18 Hornet est l’appareil qui revient le plus souvent à l’esprit. Construit par l’avionneur américain McDonnell Douglas (aujourd’hui Boeing), il est devenu le principal avion de combat de l’armée helvétique, après le retrait du Mirage III au début des années 2000 et le vieillissement des F-5 Tiger. Reconnaissable entre autres à son double empennage, propulsé par deux réacteurs GE F404, et réputé pour la technologie embarquée dans son cockpit, le F/A-18 suscite depuis son introduction en Suisse un engouement important auprès des passionnés d’avions.
Si les capacités et les performances d’un appareil tel que le Hornet sont des éléments cruciaux pour garantir la souveraineté et la défense d’un espace aérien, leur entière maîtrise par son pilote est vitale. Au vu de la multitude et de la complexité des systèmes qui composent son électronique, une solide formation et un maintien rigoureux des compétences de l’aviateur sont requis. C’est donc pour démontrer les capacités de l’avion et sa maîtrise par le pilote qu’est né le Swiss Hornet Display Team, et qui a vu se succéder en son sein 9 pilotes depuis ses débuts en 1997. Avec la Patrouille Suisse, le PC-7 Team et le Super Puma Display Team, il fait partie des formations de démonstration aérienne de l’armée suisse, et effectue à ce titre de nombreuses apparitions dans les meetings en Suisse et à l’étranger.
Le capitaine Nicolas « Vincent » Rossier en est le représentant depuis 2017. Pilote dans l’escadrille 17 à Payerne, ce natif fribourgeois totalise plus de 2’000 heures de vol, dont 1’000 sur F/A-18. Il a également participé au programme d’échange avec l’Armée de l’Air française, lui permettant d’évoluer pendant 3 ans sur Mirage 2000-5. Afin d’en savoir un peu plus sur cette fonction et la vie d’un pilote de démonstration, Pilotesuisse est parti à la rencontre de « Vincent », à l’orée de la saison 2019 qui sera pour lui la dernière en tant que pilote du Swiss Hornet Display Team.
Avant tout, pouvez-vous vous présenter brièvement, et nous expliquer ce qui vous a mené à l’aviation, et plus particulièrement à devenir pilote militaire ?
J’ai grandi dans une famille où l’aviation occupait une place prépondérante. Mon père est pilote de ligne et ancien pilote de chasse, mon frère faisait du planeur et de l’aéromodélisme, et j’ai donc baigné dans ce monde très jeune, en faisant du modélisme vers 10-12 ans et du planeur à 14 ans. J’ai ensuite effectué mon cours IAP (prédécesseur du programme SPHAIR) à 18 ans à l’aérodrome fribourgeois d’Ecuvillens, qui m’a permis de me diriger vers une carrière de pilote professionnel avec une orientation militaire. Cette voie me plaisait non seulement par le challenge qu’elle représentait, mais aussi par le côté technique du type d’avions que l’on vole, ainsi que par la diversité des tâches que l’on doit accomplir. Je suis très heureux d’avoir fait ce choix.
Quelles sont les caractéristiques requises et comment se passe le processus de sélection d’un pilote de démonstration ? Qu’est-ce qui vous a motivé à vous présenter à ce poste ?
Le profil requis consiste à avoir une assez grosse expérience dans l’avion utilisé, c’est-à-dire d’avoir accompli au minimum 400 heures de vol sur F/A-18, avoir une formation de leader au sein d’une formation et d’être instructeur de vol. Avec ces exigences, le nombre de candidats potentiels devient donc déjà relativement restreint. Ceux qui correspondent au profil recherché peuvent postuler lorsque la place est mise au concours à l’interne. Les différents supérieurs (chefs d’escadrilles et chefs d’escadres) sélectionnent le candidat de leur choix, et le chef de la défense aérienne décide en dernier lieu de l’attribution définitive.
Un pilote de démonstration s’engage pour 4 ans : 3 ans en tant que pilote officiel, puis une année de coaching pour le pilote suivant. Il doit également se former dans un nouveau domaine, car les vols de démonstration sont très différents des missions de combat aérien, d’interception ou de police aérienne qui font le quotidien d’un pilote d’escadrille. Il s’agit donc d’un engagement conséquent, car le pilote devra d’abord passer par l’apprentissage de ce nouveau domaine, non seulement pour le pilotage en lui-même mais aussi tout ce qui touche à l’organisation autour des différents meetings auxquels il participera (coordination avec les organisateurs, préparation du vol pour se rendre sur place, etc.). Cela prend beaucoup de temps, raison pour laquelle le candidat choisi est quelqu’un d’expérimenté qui a déjà été formé dans les autres domaines et qui peut se consacrer pleinement à ces différentes contraintes.
C’est un challenge que j’avais envie de relever. Je souhaitais apprendre à manœuvrer le F/A-18 à basse altitude, en configuration lisse, à présenter un programme qui mette en valeur l’avion sur lequel j’évolue au quotidien. Comme je correspondais au profil recherché et que j’avais la chance d’être au bon endroit au bon moment, je me suis porté candidat et j’ai eu le privilège d’être sélectionné.
Le programme de démonstration et l’enchaînement des différentes figures qui le composent nécessitent un entraînement spécifique. Comment se déroule-t-il et combien de vols sont en général nécessaires avant d’être « prêt » ?
Il faut différencier la première année d’un pilote à ce poste des suivantes, car le programme n’est pas le même. La première année, on est formé par le prédécesseur, qui prend le rôle de coach. On commence par des vols au simulateur, puis par des vols en biplace où le coach s’installe à l’arrière. Ces vols d’apprentissage se font d’abord à haute altitude, puis à moyenne altitude. Ensuite, le nouveau pilote finit son apprentissage en solo, en monoplace, à moyenne altitude puis à basse altitude. En tout, pour compléter le syllabus de cette formation de base, 14 vols sont nécessaires.
Les saisons suivantes, il n’y a plus de vols en biplace puisque le pilote a une année d’expérience derrière lui. Néanmoins un entraînement est requis au début de chaque saison, que le programme comporte des nouveautés ou non, d’abord sur simulateur, puis en vol réel à haute, moyenne et enfin basse altitude, soit 10 vols en tout. J’analyse ensuite chaque vol, à l’aide des caméras installées à bord, pour vérifier que toutes les figures étaient en ordre/comme elles devraient, ou voir pour quelle raison j’étais trop tard ou trop tôt sur une figure, afin de m’améliorer.
Je dois m’entraîner à effectuer 2 programmes différents. En effet, selon les conditions météo lors d’un meeting, il est possible que certaines figures ne puissent pas être exécutées à cause d’un plafond nuageux trop bas. J’ai donc un programme réservé en cas de beau temps, et un autre en cas de mauvais temps, et je dois m’entraîner à l’un comme à l’autre avant chaque saison. Le programme beau temps requiert davantage d’entraînement que celui pour mauvais temps, car il comporte des figures à différentes altitudes où il est particulièrement important de maîtriser les phases en descente, pour ne pas passer sous l’altitude minimale qui est d’environ 100 m au-dessus du sol (300 pieds). Le programme mauvais temps est moins technique car il se déroule tout du long à la même altitude, les figures se font « à plat ». Par contre, il est plus éprouvant physiquement car on est très souvent à pleine puissance avec beaucoup de G.
Comment sont choisies les figures effectuées pendant la démonstration ? Le pilote peut-il décider d’en ajouter ou supprimer dans un programme ?
La première saison, le programme du prédécesseur est repris dans son intégralité afin que le nouveau pilote puisse faire son apprentissage dans un programme déjà connu. C’est les saisons suivantes que le programme peut être changé par le pilote. Par souci de gestion du risque, on ne change pas le programme en même temps que l’on change de pilote. De plus, le programme doit être validé par un comité de contrôle, composé de plusieurs personnes de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), des autorités et de la sécurité militaire et un ancien pilote du Display Team.
Les différentes figures sont choisies en fonction de ce qu’elles peuvent apporter à un programme. Le but est de mettre en valeur le F/A-18, montrer ses capacités techniques (puissance, capacités et manœuvrabilité), mais aussi de le faire apprécier du public, le tout avec une sécurité maximale. Par exemple, je trouve toujours impressionnant de pouvoir faire un looping juste après le décollage, de lever les roues et monter à la verticale comme une fusée, et de montrer ainsi la puissance de l’avion, afin que même ceux qui ne sont pas des spécialistes en aviation puissent s’en rendre compte. De manière générale, je préfère donc faire des figures qui mettent l’avion en valeur même pour les gens qui n’y connaissent rien, que de faire des figures très techniques qui ne parlent qu’à un petit nombre de gens.
En outre, certaines figures peuvent ne pas convenir à tous les lieux où je vais présenter le programme, pour des raisons de topographie au milieu des montagnes, ou pour des raisons de sécurité. Par exemple, je ne fais pas de tonneau juste après le décollage, qui constituerait une figure acrobatique, quand bien même cette figure serait techniquement réalisable. Je vais donc choisir des figures qui sont réalisables partout, pour chaque place où je vais présenter le programme, et non pas l’adapter en fonction de l’endroit, pour d’évidentes questions de sécurité et de gestion du risque. J’ai ma routine pour le programme beau temps, ainsi que celle pour le programme mauvais temps, et il ne serait pas opportun de briser ces routines à chaque fois.
Comme le Hornet Solo Display existe depuis une vingtaine d’années, on a une certaine, voire une grande expérience des figures qui fonctionnent et qui mettent le F/A-18 en valeur. Il est donc évident qu’on ne va pas découvrir à chaque fois des figures totalement nouvelles et inédites, par contre je peux apporter quelques changements au niveau des enchaînements, des passages d’une figure à l’autre, afin d’apporter un peu de nouveauté, sans chercher à bouleverser tout le programme non plus. Je dirais que d’année en année, seul un quart à un tiers du programme connaît des modifications.
Comment se passe une journée type de meeting, depuis le moment où vous arrivez à l’aérodrome jusqu’à ce que vous le quittiez ?
Je dois d’abord anticiper la durée du trajet pour me rendre jusqu’à l’aérodrome. Il m’est arrivé sur certains meetings de faire près de 3 heures de trajet, en raison des bouchons, donc la journée peut parfois commencer très tôt (rires). Une fois à l’aérodrome, tous les pilotes de display participent à un briefing avec le directeur de vol, qui est en quelque sorte le chef du meeting, et où sont abordés le programme de la journée, la météo, les restrictions diverses ou des mises au point sur les entraînements de la veille (un weekend de meeting commence toujours par un jour d’entraînement, une répétition générale, le vendredi). Puis vient l’attente de son tour, où il est important de rester « frais » en s’hydratant suffisamment (la quantité d’eau que je bois est contrôlée afin d’assurer une hydratation suffisante) et ne pas prendre de coup de chaud, les meetings se déroulant souvent en été.
Environ une heure avant mon passage, je me rends à l’avion, et je m’isole 15 minutes afin de me concentrer. Je répète ensuite le programme à blanc, dans ma tête, les mains faisant les mouvements que je fais dans l’avion. Je déroule tout le programme et me remémore les paramètres, les facteurs de charge, les altitudes, etc. 30 minutes avant le passage, je monte et démarre l’avion, je contrôle que tout soit en ordre afin d’être prêt un quart d’heure avant la démonstration. Cela me permettrait d’avoir le temps de passer sur l’avion de réserve en cas de problème technique lors du démarrage. Je roule ensuite vers la piste avant de recevoir le feu vert pour commencer la démonstration, 11 minutes à fond.
Une fois celle-ci terminée, de retour au box, je débriefe avec les mécaniciens qui assurent l’entretien de l’avion, puis en fin de journée je suis de retour chez le directeur de vol avec qui l’on débriefe la présentation s’il y a des choses à redire sur celle-ci. Vient également la partie « relations publiques » où l’on va à la rencontre du public pour une session d’autographes. Il arrive aussi que l’on soit invité par des représentants diplomatiques ou militaires suisses ou du pays où l’on se trouve. La journée est ensuite terminée et on remet ça le lendemain, si le meeting se passe sur 2 jours. En résumé, les journées peuvent être bien chargées et la démonstration en elle-même n’est que la pointe de l’iceberg.
Est-ce que n’importe quel avion de la flotte peut être utilisé pour la démonstration, ou faut-il y apporter des modifications techniques qui limitent le nombre d’appareils à disposition ?
N’importe quel avion peut être utilisé, je n’ai d’ailleurs aucun avion dédié spécifiquement au display. L’année passée, j’ai fait mes démonstrations sur 11 avions de la flotte au total. Il faut simplement préparer l’avion dans sa configuration lisse, c’est-à-dire sans arme, sans dispositif sous les ailes, sans réservoir supplémentaire.
Comment sont choisies les manifestations auxquelles vous participez ? Pouvez-vous répondre à toutes les invitations, aussi bien nationales qu’internationales ?
On ne participe qu’aux manifestations auxquelles on est invité. Les organisateurs font leur demande auprès des Forces aériennes, et celles-ci trient ensuite les manifestations auxquelles il est opportun de participer selon divers critères, en termes de communication. J’apporte ensuite un avis technique afin de trier ce qui est réalisable de ce qui ne l’est pas. Puis, la liste passe les différents échelons du commandement des Forces aériennes jusqu’à la ministre en charge du Département de la Défense, qui a le mot final.
Parmi les nombreuses manifestations auxquelles vous avez participé depuis 2017, y a-t-il des évènements qui vous ont particulièrement marqué à titre personnel ?
Je pourrai aborder un évènement qui m’a marqué pour chaque meeting, car ils sont tous différents et ont leurs particularités et leur intérêt. Que ce soit sur des gros meetings comme RIAT 2018, à Fairford en Angleterre, devant 130’000 personnes chaque jour pendant 3 jours, ou des plus petits meetings comme l’Acroshow de Villeneuve (parapente) avec une excellente ambiance, où j’ai pu me rendre après la démonstration. J’ai eu un sentiment très spécial, en me produisant sur l’aérodrome d’Ecuvillens lors du meeting RIO, vu que j’y ai débuté mes premières activités liées à l’aviation 15 ans auparavant, en apprenant à piloter un avion et en y travaillant le weekend pour encaisser les taxes d’atterrissage et me faire mon argent de poche. J’étais très content d’y revenir en F/A-18 et de représenter les Forces aériennes à cette occasion. C’était un moment très fort sur le plan personnel.
Et par conséquent, vous vous réjouissez également de tous les évènements auxquels vous participerez en 2019 ?
Bien sûr ! Que ce soit en Suisse ou à l’étranger, tous auront un intérêt particulier. Au niveau national, je me réjouis des journées portes ouvertes de la base aérienne d’Emmen, l’Heli weekend à l’aéroport de Grenchen, où les pilotes de l’armée passent leur licence de pilote professionnel, ou de Mollis qui sera le plus gros meeting aérien de Suisse en 2019. L’Axalp constitue également un moment fort de la saison, avec sa topographie particulière et la beauté du lieu. A l’étranger, je suis impatient de faire ma démonstration sur la base d’Orange, en France, où j’ai appris à piloter le Mirage 2000 lors de mes années d’échange avec l’Armée de l’air, ou sur la base suédoise de Ronneby. J’irai également aux plus gros meetings européens comme RIAT en Angleterre ou AirPower en Autriche, où la plupart des billets sont déjà vendus depuis plusieurs semaines, et enfin je me réjouis également de visiter les pays où je ne suis encore pas allé en tant que représentant du Display Team, comme en Italie ou en Tchéquie. Mon successeur m’accompagnera à quelques endroits pour commencer à apprendre toute la préparation autour d’une participation à un meeting.
Vous avez intégré l’Armée de l’Air française pendant 3 ans, dans le cadre d’un programme d’échange de pilotes entre les armées suisse et française. Quelles différences entre le pilotage d’un Mirage 2000 et un F/A-18 ?
J’adore les deux avions, car ils sont très différents. Le Mirage 2000 a été dessiné pour être un intercepteur, décoller vite, monter vite et voler vite pour intercepter un bombardier, puis redescendre, alors que le F/A-18 est un avion multi-rôle appelé à opérer depuis des pistes courtes, être très manœuvrant et de pouvoir intercepter des avions à basse vitesse.
2019 sera votre troisième et dernière saison en tant que pilote de démonstration. Quelle sera la suite de votre carrière, une fois que vous aurez transmis ce poste à votre successeur ?
Je commence à faire partie des « vieux » pilotes en escadrille sur le F/A-18. J’ai encore quelques années de pilote d’escadrille devant moi, puis on verra à ce moment-là pour la suite. Les perspectives d’évolution, pour quelqu’un avec mon expérience, sont multiples : devenir commandant d’escadrille, prendre davantage part aux programmes de formation sur simulateur ou dans le développement technique, rejoindre le transport aérien… Selon ces activités, on garde une part de pilotage plus ou moins prépondérante, à côté des activités administratives, et on peut continuer à voler sur F/A-18 plusieurs années, puis sur avion à hélice pour différents types de mission. Les perspectives sont donc réelles. J’adore ce que je fais, je suis content de me lever chaque matin et d’aller travailler et c’est ce qui est le plus important, indépendamment du fait de piloter un avion de chasse ou non. Cela doit donner envie aux jeunes qui ont envie de faire ça! C’est d’ailleurs aussi l’un des intérêts des démonstrations : convaincre la génération suivante d’embrasser cette carrière, car on a aussi besoin de relève.
Détails du programme 2019 du Swiss Hornet Display Team:
Programme Swiss Hornet Display Team
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