Je m’appelle Tom et suis Senior First Officer dans l’une de nos compagnies helvétiques depuis début 2011. J’ai fait deux ans de court-courrier sur Airbus A319/320/321 puis je suis passé en long-courrier sur A330/340 et désormais sur Boeing B777. Je vous propose une plongée dans le quotidien d’un pilote de ligne pour vous permettre d’avoir une idée de ce que représente réellement ce métier.

Toutes les photos agrémentant cet article ont été prises par mes soins. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.

Voici une journée type d’un First Officer court-courrier :

1h30 avant le départ : j’arrive au centre des opérations à Zürich. C’est un grand bâtiment dans lequel se trouve une bonne partie de l’administration (dispatch, crew disposition, météo…) mais également où les équipages se retrouvent et dirigent leurs briefings avant de se rendre ensemble à l’avion. Je fais mon check-in sur un ordinateur afin que le système sache que je suis bien arrivé et j’en profite pour imprimer les informations concernant les différents aéroports que je vais survoler et sur lesquels je vais atterrir aujourd’hui. Puis, je me dirige vers le bureau météo et j’imprime les prévisions d’aujourd’hui. Ensuite, j’imprime les plans de vols pour les vols de la journée. Ceux-ci contiennent énormément d’informations comme le nom du vol, le callsign, le type d’avion (A319, A320 ou A321), le temps de vol (de 30 min à 5 heures), la route, le fuel, le chargement, etc etc…

1h15 avant le départ : je retrouve le Captain en compagnie duquel je passerai les prochains jours. Les rotations varient d’un aller et retour dans la même journée à plusieurs vols sur 4 jours. Durant tout ce temps, l’équipage restera le même. Il arrive que je connaisse déjà ce Captain d’une précédente rotation tandis que d’autres fois, je ne l’ai jamais rencontré. Tout d’abord, il faut décider qui va « voler » le premier trajet. Comme nous sommes deux dans le cockpit, l’un volera effectivement l’avion (PF ou pilot flying) et l’autre sera son assistant (PNF ou pilot non flying). Habituellement, le First Officer décide ce qui lui sied le mieux et on se répartit les vols afin qu’à la fin de la rotation, chacun des pilotes ait autant de vols en tant que PF que l’autre. Dans une journée, on vole entre 2 et 4 trajets, 2 étant considéré comme peu et 4 comme élevé. La « norme » se situe donc à 3. Celui qui volera le premier trajet dirige le briefing. On regarde ensemble toute la documentation en vérifiant d’abord la météo, puis les informations sur les aéroports. Ces informations nous permettent de prendre une décision concernant le fuel et de répondre à ces questions: pouvons-nous partir avec le fuel minimum légal? Si non, combien en plus serait-il judicieux de prendre? Il peut y avoir plusieurs raisons de prendre du fuel supplémentaire: météo capricieuse, piste fermée, aéroport surchargé, grèves…cette décision se prend ensemble et lorsque nous sommes arrivés à un montant final, nous l’entrons dans le système, afin que l’avion puisse être fuelé le plus vite possible.

1h00 avant le départ : nous rencontrons l’équipe de cabine, qui est composée de 4 à 6 crew, suivant l’avion et le vol. Nous les saluons, leur donnons un aperçu du temps et le Captain donne ses dernières instructions.

40 min avant le départ : nous nous retrouvons tous au bus qui nous amènera à l’avion. Lorsque nous y sommes, les cabin crew préparent la cabine pour recevoir les passagers, le Captain fait le walkaround (le tour de l’avion) et je prépare le cockpit afin d’être prêts à partir. Lorsque les checklists sont terminées et que tous les passagers sont à bord, on quitte la gate, on roule vers la piste et on décolle. Une fois en vol à l’altitude de croisière, il est temps de manger un morceau puis de calculer le fuel nécessaire pour le retour. Un petit briefing d’approche plus tard, nous commençons notre approche vers notre première destination.

Miam Genève - LSGG

 

Arrivés au sol, on prend congé de nos passagers, on refuel, on accueille les nouveaux passagers, on prépare le cockpit et c’est reparti pour un tour dans l’autre sens.

A la fin de la journée, on quitte l’avion et un bus nous attend à la sortie de l’aéroport pour nous amener à l’hôtel.

Crew bus

 

Normalement, si on arrive en début d’après-midi, on repart le lendemain matin tandis que si on arrive en soirée, on repart le lendemain en début d’après-midi. Suivant les équipages, la journée se termine avec un verre autour duquel on refait le monde ou alors en ville pour assister à un spectacle ou au restaurant.

Moscou Londres

 

Ça, c’était le déroulement d’une journée normale. Par-dessus, se rajoutent très souvent des facteurs externes rendant le travail intéressant/stressant comme (liste non exhaustive) :

Le vent : Il peut arriver qu’il y ait beaucoup de vent à un aéroport, rendant l’approche et l’atterrissage très délicats, particulièrement si le vent est de travers. Cela nous permet de tester nos compétences de pilotage.

Neige à Genève


Les orages : Durant l’été, on rencontre beaucoup de cumulonimbus qu’il nous faut éviter à tout prix. D’habitude lorsque nous sommes en croisière, il nous suffit de passer d’un côté ou de l’autre du CB pour l’éviter. Par contre, lorsque l’on se rapproche de l’aéroport et que par exemple le CB se trouve juste au-dessus, les choses se compliquent assez vite. Attente, fuel qui diminue, éventuellement diversion…pas mal de stress en perspective!

Orages Cellule

Low visibility : Lorsque la visibilité est très mauvaise, nous ne pouvons pas atterrir manuellement. Il faut donc configurer l’avion pour qu’il atterrisse tout seul automatiquement, comme un grand. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas une tâche facile. Durant le briefing d’approche, il faut passer en revue les différents scénarios possibles (reprogrammation durant l’approche, remise des gaz…) et programmer l’avion. Durant l’approche il y a un très grand travail de monitoring, c’est-à-dire de contrôle de notre part, afin d’être certains que l’avion se situe au bon endroit, à la bonne hauteur et à la bonne vitesse. Inutile de dire que lorsque l’on se trouve à 20 mètres au-dessus du sol à 250 km/h sans voir la piste sur laquelle on est sensé se poser, on est un peu tendu, mais surtout extrêmement concentré.

Low Vis  Low vis..


La neige : Il s’agit du facteur le plus important de retard dans le milieu aéronautique. Car lorsque la neige tient sur les ailes et/ou sur la piste, il faut absolument l’enlever et ça prend du temps. Du coup, c’est un exercice de patience qui nous est imposé, nous qui sommes habitués à des rythmes de travail plutôt sportifs.

Neige  Deicing


Accident : Il peut arriver qu’un avion ait un problème technique et qu’il bloque une piste, empêchant les autres avions d’atterrir ou de décoller. Là encore, si on est au sol, beaucoup de patience peut être nécessaire. Par contre si on est sensé atterrir, ça sent doucement la diversion.

Emerg


Oiseaux : De temps en temps, un (ou plusieurs) oiseaux décident de venir repeindre le fuselage ou visiter l’intérieur de nos réacteurs en plein vol, ce qui peut être plutôt désagréable pour l’avion, comme pour nous! Oui, pour lui aussi.

Birdstrike

Et lorsqu’on a de la malchance, plusieurs de ces facteurs ont la bonne idée de se combiner, transformant un jour ordinaire en un jour dont on se souviendra un bon moment !

IST  IST

LE LONG COURRIER

Après 2 ans sur le court courrier, je suis passé sur long courrier. Il est possible de rallonger le temps sur court courrier ou de devenir instructeur, ce qui rallongera automatiquement le temps sur court courrier de 3 ans. J’ai fait le choix de passer sur long courrier le plus vite possible et je ne regrette pas mon choix. Même si certains aspects sont plus difficiles que sur le court courrier, comme certains longs vols ou les vols de nuit qui sont éprouvants pour le sommeil, les aspects positifs les compensent largement.

Tout d’abord, le rythme de travail est plus agréable puisque nous avons plus de temps pour la préparation et nous sommes bien secondés pour certaines tâches que nous faisions nous-même sur court courrier (briefing, walkaround…). Certaines destinations sont magnifiques (New York, Kenya, Tanzanie, Afrique du Sud, Thaïlande, Chine, Japon, Brésil etc, etc). Ensuite, on a beaucoup plus de temps sur place pour se reposer et visiter les villes dans lesquelles on s’arrête. Et lorsque l’on rentre à la maison, on a également plus de temps de récupération. Enfin, les avions sont des monstres très agréables à piloter qui peuvent accueillir plus de 200 passagers avec tout le confort nécessaire pour des vols d’une douzaine d’heures. Vous l’aurez compris, la vie sur long courrier me sied très bien pour l’instant.

Kenya  Tanzanie

SALAIRE/PLANNING/CONGÉS/VACANCES

Sur l’Europe, un jour de travail est compensé par un demi-jour de congé arrondi à l’unité supérieure, le maximum de jours de travail à la suite étant de cinq. Par exemple, si l’on travaille trois jours de suite, cela fera un jour et demi de congé, arrondi à deux. Par contre, si l’on travaille cinq jours de suite, cela fera deux jours de congé. Sur le long courrier, un aller et retour dure entre 3 et 4 jours et donne entre 2 et 4 jours de congé.

On reçoit son planning pour le mois entre le 20 et le 25 du mois précédent. Nous avons un système nous permettant de préciser nos préférences (destination, jours de congé à certaines dates, heure de début/fin, etc…). Elles seront prises en compte et réalisées dans la mesure du possible.

Chaque année, on vole environ entre 700 et 800 heures. Cela ne comprend évidemment pas les heures de travail de préparation.

Concernant les vacances, on a à peu près le même nombre de jours que tout le monde. Seulement, elles peuvent être parfois difficiles à obtenir, surtout si on les désire durant les vacances scolaires.

En début de carrière, le First Officer débutant peut compter sur un salaire mensuel de  ~ CHF 6200.-. A ce montant, se rajoutent 3.- (court courrier) et 4.- (long courrier) par heure que l’on passe loin de la home base, à savoir Zurich, ce qui fait entre 500.- et 1000.- par mois en fonction des rotations. Cependant, il faut potentiellement retirer 1000.- par mois destinés au remboursement de la formation intégrée, si toutefois elle fût effectuée dans la compagnie pour laquelle vous travaillez.

Les premières années, le salaire augmente d’environ 5% chaque année

Après 4 ans, on devient un Senior First Officer et on passe à une autre échelle de salaire. Par mois, le salaire passe à ~ 8500.-. Plus tard, lorsque l’on devient Captain, on passe à encore une autre échelle, puis après quelques années on passe à la dernière échelle, Senior Captain. A la fin de sa carrière, ce dernier peut espérer gagner ~ 17’500.- brut par mois.

Tous ces chiffres, arrondis et bruts, sont basés sur une estimation moyenne des salaires chez les grands transporteurs suisses.

Alpes  Merry Xmas

STAND BY

De temps en temps, il arrive que l’on ait des blocs de stand by. C’est-à-dire que certains jours, il faut que l’on soit prêt à partir sur n’importe quelle destination et être prêt pour le briefing en une heure. Ce n’est pas un problème si vous habitez près de l’aéroport mais cela peut devenir plus embêtant si vous habitez plus loin. A noter que sur long courrier, on reçoit un mois complet de réserve par an et plus rien le reste de l’année.

Zuschauerterrasse ZRH  Evening

FORMATION CONTINUE

Un pilote est en formation toute sa vie. Voici les cours que nous avons l’obligation de suivre régulièrement:

  • Crew Ressource Management : tous les 3 ans. Cours sur le travail en équipe.
  • RGC (recurrent ground course) : tous les ans. Nous permet de revoir notamment les procédures d’urgence (évacuation) en collaboration avec la cabine.
  • Check en ligne : tous les ans. Un vol avec un instructeur qui observera notre travail dans le cockpit.
  • Medical : tous les ans. Test médical complet.
  • Simulateur : tous les 6 mois. Nous permet de revoir les procédures d’urgence en vol.
  • English proficency test : tous les 3 ans.

De temps en temps, nous avons également d’autres cours, comme un nous permettant par exemple d’aller voir ce que font nos collègues (cabine, pushback, loadmaster, dispatch…).

Enfin, après 2 ans et demi sur la ligne et après avoir testé le court comme le long courrier, je vous propose un résumé des points positifs et négatifs selon moi:

Positif :

  • On voyage à travers le monde et on est souvent les témoins de vues impressionnantes depuis le cockpit.
  • On pilote des machines incroyables.
  • Le travail en équipe est très enrichissant.
  • Salaire correct après quelques années.
  • On a certains avantages lorsque l’on voyage en privé.

Costa Concordia  ND


Négatif :

  • Il peut arriver que l’on doive travailler durant les fêtes, les anniversaires, les jours de congés ou les vacances.
  • Les vacances, justement, ne sont pas toujours évidentes à avoir aux dates voulues.
  • On est souvent loin de la maison.
  • Les vols de nuit sur long courrier sont très fatigant.

Sunrise  Genève

Personnellement, je ne regrette pas mon choix de m’être lancé dans cette carrière et chaque jour de travail, je me réveille le sourire aux lèvres, sachant que j’aurai le droit de pratiquer ce magnifique métier. Ce ne fut pas tous les jours facile d’en arriver là mais cela en valait un million de fois la peine et je ne peux qu’encourager les jeunes qui auraient envie de tenter les sélections des compagnies proposant des formations intégrées « ab initio ». Si cela vous intéresse, cela ne coûte (quasiment) rien d’essayer et qui sait, dans quelques années, on pourrait bien se retrouver dans le même cockpit. C’est tout le mal que je vous souhaite.

Happy Landings!

–Tom–

Nice